Ce week-end, je me suis rendue au Festival du livre de Paris sans autre objectif que celui d’écouter ce que les écrivains contemporains ont à dire.
Dans ce lieu mythique du Grand Palais, entre séances de dédicace et happenings anti-Bolloré, les festivaliers avaient en effet la possibilité de s’extraire du brouhaha ambiant pour assister à des conversations avec des écrivains prêts à partager leur ressenti sur un thème donné.

Des moments que je qualifierais de magiques, pour moi, simple prête-plume au service des autres. C’est non sans émotion que j’ai pu entendre s’exprimer des auteurs de toutes sortes et de tous styles, d’Olivier Norek à Christine Angot, de François Morel à Neige Sinno, de Bernard Minier à Camille Laurens pour les plus connus. En tout, ce sont 21 voix de romanciers et romancières ou essayistes que j’ai eu la chance de pouvoir écouter pendant deux jours. (Liste détaillée en bas de cet article)
A l’ère de la division et de la compétition, j’ai cherché à comprendre justement ce qui les unissait tous. Et les entendre m’a fait un bien immense. D’où ce partage aujourd’hui à tête reposée.

1) Ils n’ont pas de certitudes, n’assènent aucune vérité. Au contraire, ils sont en questionnement constant.

A une époque marquée par la binarité des « pour » et des « contre », des « oui » et « non », des visions en  blanc ou en noir, quel bonheur d’entendre la nuance et le doute chez ceux qui font la littérature contemporaine !
Enquêteurs du réel, qu’il s’agisse d’aventures vécues comme celles de Neige Sinno et Sylvain Prudhomme, d’enquêtes historiques comme celles d’Olivier Norek et Aslak Nore, ou de voyages introspectifs comme ceux de Camille Laurens ou Christine Angot, ils se distinguent des philosophes ou des historiens en ce qu’ils se refusent quasiment tous à en déduire une vérité, une sentence, un diagnostic.
Le réel les traverse, les occupe, mais ils n’en tirent pas une leçon définitive.
Ce sont leurs lecteurs qui en tireront leurs propres ressentis, éclairés par les oeuvres.

2) La lecture à haute voix de leur propre texte les submerge et nous enchante

Ce que je retiendrai de plus beau et de plus fort dans ces “rencontres”, c’est finalement… la lecture à voix haute, par les auteurs, de leur propre texte. Un incroyable moment que celui où les mots écrits s’incarnent dans la voix de l’écrivain, où l’intention et le ton justes transforment l’œuvre pour en transmettre enfin toute son essence, son âme, au public.
Même les textes les plus légers, comme celui teinté d’humour de François et Valentin Morel, envoient une émotion, un frisson unique lorsqu’ils sont lus par Morel père.
Quant à la voix tremblante et “viscérale” de Christine Angot, elle donne l’impression de partager avec nous ce qu’elle est au plus profond, qui elle est… Sa lecture a provoqué un silence, une attention incroyable. Elle a suspendu le temps et réuni instantanément toutes les personnes présentes.
Ils auront été plusieurs à se prêter à l’exercice, nous faisant oublier chaque fois l’endroit dans lequel nous nous trouvions, pour nous rallier totalement à eux, à leurs mots. Une expérience magique dans ce lieu immense aux milliers de visiteurs.

3) Ils portent un vrai propos. Ils n’écrivent pas « pour écrire »

Pour écrire un roman, il faut d’abord trouver une idée, nous enseigne-t-on dans les tutos « comment écrire un roman ». Bien sûr, ce n’est pas faux. Il en faut bien, une idée de départ.
Mais ce que j’ai noté dans les paroles de tous ces romanciers, romancières et essayistes, c’est que le sujet s’impose à eux. Il les hante, devient souvent obsessionnel, et les pousse à écrire plutôt que l’inverse. Cela m’a plu de les entendre se poster à la place modeste de « medium » de quelque chose qui les dépasse, qui semble hors de contrôle.
Une fois la plume à la main, ou le clavier sous les doigts, comme l’a expliqué Juan Gabriel Vàsquez, ils “modèlent” finalement leur sujet pour y instiguer leur patte narrative, créer des personnages et les faire vivre. Mais le sujet est déjà présent, en toile de fond, plus fort presque que l’auteur comme le thème de l’identité questionné dans Toutes les vies de Théo de Nathalie Azoulai ou celui des mécanismes de la manipulation émotionnelle dans Ta promesse de Camille Laurens.

4) Ils s’interrogent sur la subjectivité de leurs écrits

Parler de son expérience à la frontière mexicaine en étant un homme blanc comme Sylvain Prudhomme, raconter le printemps arabe en évoquant l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie quand on est marocaine comme Hajar Azell, chroniquer les informations internationales en tant que française comme le fait Lola Lafon, les auteurs et autrices ne parlent plus de leurs textes sans réfléchir au point de vue de puis lequel ils écrivent. Si cette notion de subjectivité occupe de plus en plus les esprits ces dernières années, elle est désormais mise en avant au sein des textes eux-mêmes, notamment dans les récits de voyage.
La notion d’objectivité s’efface aujourd’hui, pour le meilleur, pour qu’une plus grande honnêteté intellectuelle s’invite chez tous ceux qui tentent de raconter le réel.

5) Ils ne font pas que raconter : ils témoignent, alertent ou recréent le monde

Alerte sur les milieux masculinistes avec La Menace de Niko Tackian, revisite des contes ancestraux avec Barbe-Belle d’Hélène Combis, témoignage glaçant sur le monde politique roumain avec La pire espèce de Cristian Fulas, ou sur les mécaniques du pouvoir « à la française » avec La guerre par d’autres moyens de Karine Tuil, la fascination nouvelle pour le true crime, les dérives d’internet et de la justice « spectacle » avec H de Bernard Minier…
Nos raconteurs d’histoires abordent la société actuelle avec plus d’acuité que jamais, et de moins en moins d’indifférence.
Ils n’écrivent plus « sur » mais dans/depuis la société, et tentent d’apporter leur pierre à l’édifice en utilisant leur talent comme vecteur plutôt que comme une fin en soi.
Moi qui suis une lectrice pourtant « bon public », j’ai souvent été déçue par des auteurs qui « se regardaient écrire », semblaient placer le style au-dessus de la narration, voire du sujet, quand il y en avait un.
Je n’ai pas du tout ressenti cela à l’écoute de tous les auteurs cités ici.


Ce que je retiens enfin de ces conversations entendues sur le Festival, c’est que les écrivains sont les meilleurs promoteurs de leur œuvre, car ils m’ont TOUS donné envie de lire leur dernier ouvrage, absolument tous. C’est pourquoi, je vous les conseille vivement ici :

H de Bernard Minier
La Menace de Niko Tackian
Coyote de Sylvain Prudhomme
La Realidad de Neige Sinno
Toutes les vies de Théo de Nathalie Azoulai
Il n’a jamais été trop tard de Lola Lafon
Barbe-Belle d’Hélène Combis (magnifiquement illustré)
Romance à la découpe d’Hélène Vignal (Littérature Jeunesse)
Le sens de la fuite de Hajar Azell
La nuit nous emportera de Mahi Binnebine
Textures du chaos de Driss Ksikes
Dictionnaire amoureux de l’amitié de François et Valentin Morel
Les guerriers de l’hiver d’Olivier Norek
Piège à loup d’Aslak Nore
La Pire Espèce de Cristian Fulas
La guerre par d’autres moyens de Karine Tuil
La nuit sur commande de Christine Angot
Ta Promesse de Camille Laurens
La Traduction du monde de Juan Gabriel Vàsquez

Leave a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *